Un sou, c’est le langage de l’ouvrier, du pauvre, si vous voulez, c’est démocratique. M. le substitut de la République a fait hier à notre gérant l’honneur de l’appeler pour lui annoncer qu’il allait être obligé de poursuivre « La Croix ».

- Mais quel danger faisons-nous courir à la République ?

- Vous mettez un sou.

- Eh bien ?

- Vous ne savez pas que c’est défendu ?

(…) Nous avons appris, non sans un frémissement d’horreur, que nous étions entrés en lutte ouverte contre le système métrique lui-même.

Nous l’échappons belle ! Nous aurions pu être traînés devant les tribunaux comme faux-monnayeurs, le sou étant devenu une fausse monnaie. Il faut savoir se confesser quand on est criminel. Nous confessons donc humblement que nous avons manqué de respect au centime, cette incomparable conquête de la Révolution.(…) Nous avons agi comme des mal appris qui ne savent pas encore qu’un sou, cela s’appelle cinq centimes.

(…) Eh bien, nous nous soumettons ; nous ôtons le sou, car si le sou a pour lui le bon sens, il n’est pas un principe que nous avons juré de défendre.

Inscrivons donc cette sotte désignation, cinq centimes, que le peuple n’aura jamais la sottise de prendre, parce qu’il appelle les choses par leur nom et parce qu’en écrivant sur un journal 5 centimes, vous ne l’empêcherez jamais de dire que « c’est un journal à un sou ».

Le Moine (P. Vincent de Paul Bailly)

La Croix, 29 juin 1883