Pendant quatre-vingts ans, le personnel de l’administration avait géré à la main  les fiches manuscrites des milliers d’abonnés aux publications de la Bonne Presse.  En 1964, surgit l’ordinateur, un Bull Gamma 30… Une vraie révolution !

 

Révolution au service Administration qui gérait les 525 000 abonnements de la Bonne Presse, au printemps 1964. Ou les balbutiements du premier ordinateur de la Bonne Presse, un Bull Gamma 30.

Sous un titre plein de fierté, « Notre Ordinateur », Informations Bonne Presse, le bulletin interne de l’entreprise, fait le point en mars-avril 1965 sur la mise en œuvre du premier ordinateur de la maison, dont l’arrivée avait été annoncée un an plus tôt dans le même bulletin dans un article de Gabriel Dupire.


Sous un titre plein de fierté, « Notre Ordinateur », Informations Bonne Presse, le bulletin interne de l’entreprise, fait le point en mars-avril 1965 sur la mise en œuvre du premier ordinateur de la maison, dont l’arrivée avait été annoncée un an plus tôt dans le même bulletin dans un article de Gabriel Dupire.


“Sous son élégante carapace bleu azur, il vit dans un douillet aquarium aménagé exprès pour lui et qui ressemble au bloc opératoire d’un hôpital : air conditionné, insonorisation poussée, dépoussiérage permanent favorisé par un faux plafond et un sol sans fissures… Ce beau joujou tout neuf, qui mérite tant d’égards, est bien soigné, car on lui demandera de travailler beaucoup. C’est l’ordinateur Bull Gamma 30, grâce auquel la Bonne Presse va presque entrer dans un âge nouveau.” Gabriel Dupire, alors journaliste à La Croix, ouvre en termes choisis l’article qu’il consacre en avril 1964 dans le bulletin d’information interne de l’entreprise à “la BP à l’heure de l’électronique”.

Âge nouveau ? C’est peu de le dire. Quand en janvier 1957, Christiane Dauvergne entre à la Bonne Presse, elle passe sa première journée à appliquer des 1 sur les mandats-formulaires envoyés aux abonnés en guise de relance. “Le lendemain, se souvient-elle, j’agrafai les dits mandats après les avoir pliés, jusqu’à en avoir des ampoules aux mains... Puis, le troisième jour, je refis des 1. Moi qui avais absolument voulu travailler pour plus d’indépendance, je me suis bien gardée de raconter à mes parents ce que j’avais fait mes premiers jours de boulot !”

Des dizaines de milliers de fiches

De 1910 à 1965, date à laquelle le Bull Gamma 30 devient opérationnel, rien n’avait vraiment changé à l’Administration, qui gérait tous les abonnements de la Bonne Presse. Le personnel n’était plus le même, ni sa façon de s’habiller. Mais l’immense bac bourré de fiches d’abonnés, était, lui, toujours là.De 1910 à 1965, date à laquelle le Bull Gamma 30 devient opérationnel, rien n’avait vraiment changé à l’Administration, qui gérait tous les abonnements de la Bonne Presse. Le personnel n’était plus le même, ni sa façon de s’habiller. Mais l’immense bac bourré de fiches d’abonnés, était, lui, toujours là.

 

A l’époque en effet, et cela depuis les débuts en 1884, tout est manuel. Au service Administration, d’immenses bacs recèlent les dizaines de milliers de fiches d’abonnés à tous les titres de la maison. Chaque mois, elles sont épluchées systématiquement de manière à “faire l’échéance” pour les abonnements à renouveler. Et le 1 sur les mandats, c’est tout simplement janvier, pour que, le paiement effectué, on puisse savoir quand il faudrait “faire” la prochaine échéance. Le réabonnement fait, un service spécialisé de quatre personnes réinsérait les fiches mises à jour dans les longs bacs où elles allaient reposer un an. Sur un carton pré-imprimé au titre de la revue concernée, les petites nouvelles rédigeaient les fiches de nouveaux abonnés : nom et prénom d’un côté, en grosses lettres rondes – celles qui n’avaient pas appris à les faire à l’école commençaient par s’entrainer jusqu’à maîtriser cette écriture, les pleins et les déliés – ainsi que tous les renseignements utiles, adresse notamment ; le verso était réservé aux futurs réabonnements. Et l’on ne parlera pas des comptes diffuseurs, dont les stands de presse des églises. Il y en avait 45 000 en 1964, ainsi que 500 000 abonnements individuels et un million d’envois en paquets des différentes publications maison.

Dès les années 1970, le volume des ordinateurs diminue sérieusement et on y travaille de façon plus détendue.Entre-temps, la mécanographie et ses cartes perforées avaient fait leur entrée en 1959, accélérant le triage des fiches et facilitant notamment le travail des comptables : là où quinze comptables mettaient un mois à réaliser les relevés trimestriels pour les diffuseurs, la mécanographie le faisait avec trois personnes en douze jours, dans la crypte de la rue François Ier, sous la grande chapelle des Pères assomptionnistes, disparue dans les années 1980. L’ordinateur, lui, allait se contenter de quarante-huit heures et de deux opérateurs, dans son “aquarium”, qui se situait au troisième étage, juste sous la cafeteria. Et faut-il ajouter que “notre ordinateur” travaillait 24 heures sur 24, enfin à peu près, avec des équipes de deux opérateurs qui faisaient les deux ou les “trois-huit” par roulements. La machine, évidemment, ne se préoccupait pas plus des 40 heures, à l’époque, que des 35 aujourd’hui.

N’oublions pas enfin l’adressograph, cette machine aujourd’hui disparue, qui permettait de frapper les plaques adresses métalliques avec lesquelles on imprimerait les bandes-adresses pour expédier le journal aux abonnés. Pour La Croix, par exemple, il y avait toujours une semaine d’avance, autrement dit six ou sept fois 100 000 bandes-adresses qui viendraient cercler le journal plié avant qu’il ne soit jeté dans le sac postal. C’est justement l’énormité de ces chiffres qui tint encore La Croix éloignée plusieurs années du recours à l’informatique, mot encore inconnu en 1964.

Dès les années 1970, le volume des ordinateurs diminue sérieusement et on y travaille de façon plus détendue.L’ordinateur, c’était en réalité une bouée de sauvetage pour éviter à l’Administration de se noyer. Il n’y avait de toute façon pas de place pour loger les 50 personnes supplémentaires qui étaient nécessaires pour suivre la hausse du nombre des abonnements. La mécanographie avait déjà un peu facilité la tâche. Après le cauchemar des lettres rondes, une vraie calligraphie, les machines imprimaient 150 lignes à la minute. L’ordinateur en écrirait 1000. On imagine la galère que furent pour toutes ces petites mains les changements techniques, avec leur cortège d’erreurs et de ratés. Il fallut aussi s’adapter et, pour certains, apprendre à servir le nouvel ordinateur. Edmond Peuvrier fut de ceux, avec Louis Boutelet ou Roger Duchesne par exemple, qui furent choisis en 1962 après une batterie de tests pour se former à un nouveau métier, celui d’informaticien.

En fait la profession n’existe pas encore, pas plus que le mot informatique, pour qualifier ce qu’en ce printemps 1964, il y a quasiment cinquante ans, notre ami Gabriel Dupire décrit avec force périphrases, parlant de “notre ordinateur” comme d’une “main extraordinairement perfectionnée, mais qui ne peut supplanter le cerveau humain”, puisqu’une quinzaine de personnes devront commander cette “véritable machine-orchestre“ qui ne fera qu’“obéir aux ordres des programmeurs”. étonnant étonnement, pour nous qui savons aujourd’hui que ces volumineuses et impressionnantes machines, alors à la pointe de la technologie et objet de l’admiration générale, recelaient pourtant moins de puissance de calcul qu’un de nos téléphones portables.

Une sérieuse avance est prise

Il n’empêche. “Notre ordinateur”, comme titrait fièrement Informations Bonne Presse en juin 1965, six mois avant la réélection du général de Gaulle à la présidence de la République, permit à l’époque à la Bonne Presse, qui allait devenir sous peu Bayard Presse, de prendre une sérieuse avance en matière de gestion d’abonnements sur les autres éditeurs de sa catégorie.

Une ère nouvelle était ouverte et le progrès technologique allait continuer à galoper. Les abonnés des mensuels Panorama, Rallye et Record furent les premiers gérés par l’ordinateur Bull Gamma 30 au printemps 1965, les autres mensuels suivant en octobre 1965 et les hebdomadaires à partir d’avril 1966. La Croix, elle, attendit encore bien longtemps.

Yves Pitette