▼ La Croix du 21 juillet 1903.

77 Arrivee premier TDF

Découvrir un champion cycliste parmi son personnel fut-il une sorte de révélateur ?

Ou avoir un nouveau patron venu du Nord, terre de cyclisme s’il en est, le déclencheur d’un intérêt pour le sport naissant ?

Toujours est-il que La Croix rendit compte du Tour de France dès sa première édition en juillet 1903. Chaque année depuis lors, ses lecteurs trouvèrent, au moins, dans leur journal le résultat de l’étape et le début du classement général. Paul Bourotte, notre champion maison (Chapô n° 76), ne le courut jamais lui-même, mais fit très vite courir sa propre équipe.

Si l’on en croit enfin un article du 5 décembre 1948, dans le numéro 20 000 de La Croix, un autre cycliste du journal, un bien nommé Chrétien, aurait, selon le témoignage de Léon Vincent, ancien caissier de la Bonne Presse, «suivi le Tour de France».

Cela veut-il dire qu’il l’a couru ? Peut-être.

Ce serait alors entre les deux guerres, mais cela reste à démontrer. Nous vous proposons donc, au fil des prochains numéros de Chapô, de découvrir comment la Bonne Presse, puis Bayard, s’intéressèrent à la Grande Boucle.

Très activement même, à une certaine époque, comme nous le verrons bientôt.

 

77 Arrivee Tour 39 BIS

◄ 1939. Le Belge Sylvère Maes
a brillamment gagné
le dernier Tour de France avant la guerre.


«C’est demain que sera donné le départ aux routiers engagés dans le Tour de France. Le départ est fixé à trois heures de l’après-midi de Villeneuve-Saint-Georges. La première étape est Lyon, soit 467 km.» La Chronique sportive est une toute petite rubrique de dernière page dans La Croix de l’été 1903, mais dans cette édition datée du mercredi 1er juillet, ces quelques lignes coincées sous le titre «Vélocipédie», entre «Automobilisme» et «Yachting», témoignent de ce que La Croix s’est intéressée au Tour de France dès le premier jour. Le Pèlerin, lui, semble ignorer superbement le sport, sous réserve d’inventaire plus systématique, même s’il publie des publicités pour des bicyclettes avec, comme ce 10 mars 1912 pour des machines De Dion-Bouton, un «Modèle spécial pour MM. les Ecclésiastiques».

Dans le journal du 3, on apprend que «Maurice Garin arrive [à Lyon] à 9 h 01, avec un gain de 1500 F, Pagie à 9 h 02, gagnant 700 F», après 17 h 45 de course, soit une moyenne de 27km/h. «En considérant que les coureurs n’avaient ni entraîneurs, ni suiveurs, ni soigneurs, ces performances sont magnifiques», s’enthousiasme le rédacteur. Mais on lit aussi que «Jean Fischer, ayant été pris en flagrant délit d’entraînement derrière une automobile et s’étant fait tirer, a été mis hors course par les commissaires de Cosne [sur-Loire], et disqualifié par les organisateurs». Premier Tour, première étape, premier tricheur.

Chaque étape suivante, Marseille, Toulouse, Bordeaux, où le journal parle déjà de «colossale épreuve», Nantes, où Maurice Garin, qui sera le vainqueur final, l’emporte «à l’emballage» sur Pasquier, est l’objet d’un très bref compte-rendu, alors que La Croix, en ces jours là, consacre l’essentiel de ses colonnes à l’agonie du pape Léon XIII. L’effort demandé aux coureurs étant effectivement «colossal», plusieurs jours de repos séparent chaque étape : après Bordeaux-Nantes, courue le mercredi 14 juillet, l’ultime étape Nantes-Paris, vélodrome du Parc des Princes, n’aura lieu que le dimanche. Dans La Croix datée du 21 juillet, une surprise : si Garin, encore vainqueur de la dernière étape, remporte le premier Tour de France, le cinquième du classement général n’est autre que le Jean Fischer, qu’on avait vu disqualifié au cours de la première étape…

Le lendemain, le journal est en deuil et paraît bordé de noir: le pape Léon XIII est mort.

 

77 Article Brunet  2

L’étrange billet d’humeur
de La Croix
du 27 juillet 1939.


Le sport, rubrique très secondaire

dans l’entre-deux guerres

Pendant l’entre-deux guerres, La Croix donne bien chaque jour le résultat de l’étape, mais fort succinctement. À la fin des années 1920, l’arrivée du Tour à Paris est encore traitée en quelques lignes – douze seulement en 1927! Est-ce la double victoire des Français André Leducq puis Antonin Magne, La Croix y consacre une demi-colonne en pages intérieures en 1930 et 1931. Si le Tour est toujours dans la «Chronique sportive» de dernière page en 1932, le sport montre cependant le bout de son nez : la sixième victoire des Mousquetaires en Coupe Davis de tennis est annoncée en pied de première page de La Croix le jour de l’arrivée du Tour de France. Et l’ouverture des JO de Los Angeles fait l’objet d’un titre sur deux colonnes en dernière page. Les vrais sujets restent pourtant ailleurs : ce numéro du 2 août 1932 rend compte des élections allemandes sous un titre explicite : «Les racistes [lire évidemment les nazis] confortent leurs positions».

 

La concurrence des «patros»

Dans cette période, où la réunion annuelle des Semaines sociales est un événement que La Croix couvre en détail, jour après jour, le plus souvent parallèlement au Tour de France, le journal a d’autres priorités que les coureurs cyclistes, même en matière sportive. C’est en effet la période des championnats et des concours de gymnastique de la Fédération des patronages catholiques. Des événements là aussi suivis de près par le quotidien catholique qui leur accorde beaucoup plus de place qu’au Tour de France, sans parler des nombreuses photos qui valorisent les gymnastes des «patros».

 

Premières photos
des vainqueurs

Enfin, le 25 juillet 1933, le résultat final du Tour trouve place dans «La Journée», la célèbre colonne de première page où sont résumés les principaux événements du jour. À l’intérieur, on trouve la photo du vainqueur, Georges Speicher, posant sur son vélo les bras chargés de la gerbe traditionnelle, sur la piste du Parc des Princes. Photos aussi les années suivantes, mais pas en «une», pour Antonin Magne en 1934 et Romain Maes en 1935. Sylvère Maes est le premier à avoir sa photo en première page en 1936, avant Roger Lapébie en 1937. Gino Bartali n’aura qu’une toute petite photo légendée sans titre en 1938, Sylvère Maes et son second, René Vietto, la même photo légendée sans titre, mais sur deux colonnes en 1939. On est à un mois de la guerre et le Tour de France va connaître une longue éclipse, le Tour de 1940 n’ayant évidemment pas lieu.

Le sport n’est cependant toujours pas la tasse de thé de la rédaction de La Croix, patros exceptés. En témoigne ce curieux article publié le 27 juillet 1939, comme un billet d’humeur, en pied de première page, alors que le peloton est en pleine traversée des cols pyrénéens. Le mépris des coureurs, qu’on y perçoit, tranche avec le ton habituel du journal à cette époque. Tout va changer après-guerre.

Yves Pitette