S’il est une ville où, symboliquement, ma rencontre avec Elisabeth et Eric se devait d’avoir lieu, c’est bien à Levallois, agglomération de 63 000 habitants, située sur le parcours de la ligne RATP n°3. “C’est ici, précise d’emblée élisabeth, que j’ai débarqué en 1976 de ma Lorraine natale avant d’entrer sept ans plus tard à Bayard où j’ai évidemment côtoyé éric. C’est ici aussi, qu’après avoir pris chacun nos retraites respectives, nous nous sommes retrouvés en 2005, moi parce qu’habitant la commune, je venais assister à un concert, lui parce qu’il venait écouter son fils Cyril, ténor professionnel dans l’orchestre Maurice Ravel de Levallois.”

A Levallois, un piano géant sur une façade. Tournez le coin de la rue, c'est le conservatoire Maurice Ravel.

 

Jambons français et marines américains

“Et c’est ici, renchérit éric Verhulst, qu’à l’âge de vingt ans, en juillet 1963, juste après avoir passé le parcours de l’ENSIAA (école nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires), j’ai effectué un stage ouvrier obligatoire dans l’abattoir de Olida, à Levallois, spécialisé dans le conditionnement des porcs. Une fois les jambons cuits, mon rôle consistait à les extraire de leurs moules afin de “rebordurer” ces boîtes en fer blanc à l’aide d’une petite molette, de telle sorte qu’elles puissent être réutilisées pour cuire de nouveaux jambons. J’ajoute que ce stage de cinq semaines, payé normalement, m’a permis, quarante- et-un ans plus tard, de valider quatre trimestres pour ma retraite !”

Mais à l’époque, la retraite est encore loin. Et la carrière d’éric, fort logiquement, débute dans le secteur alimentaire, y compris pendant le service militaire, effectué à Alger de mai 1968 (dont il ne connaîtra que les prémices) à août 1969, comme coopérant technique au ministère de l’Industrie. Démobilisation. La vie personnelle et professionnelle d’éric va évoluer.

“Le 6 juin 1970, précise-t-il, j’ai épousé Béatrice, à Belleau, dans l’Aisne, une commune proche de ma ville natale de Château-Thierry, à laquelle je suis resté très attaché puisque ma belle-famille y possède toujours une jolie propriété et que j’en suis conseiller municipal. Belleau n’a que 134 habitants, mais elle est très connue aux états-Unis, car, en juillet 1918, le prestigieux corps des “marines” américain a perdu ici 5 000 de ses soldats, mais est parvenu à faire reculer les Allemands. Chaque année, le dernier dimanche de mai, une émouvante cérémonie a lieu dans le cimetière magnifiquement entretenu, pour perpétuer leur mémoire.”

“Côté professionnel, poursuit éric, je me dirige plutôt vers l’organisation générale dans des entreprises d’engineering. J’ai notamment le souvenir de l’une d’entre elles où il me fallait en même temps mener à bien un plan de licenciement doublé d’un plan de redressement ! Comment rétablir la situation alors que, pour faire des économies, nous venions de nous priver des employés les mieux payés, mais qui étaient aussi les plus expérimentés et les meilleurs ? C’est à partir de ce genre d’expérience que je me suis senti plus attiré vers le cadre de vie des entreprises, qui conditionne la bonne intégration du personnel, et donc la bonne ambiance et la bonne marche d’un lieu de travail. Et c’est dans ce contexte, en 1989, que, par l’intermédiaire d’une relation professionnelle, Michel Landowski, j’ai rejoint Bayard Presse, dont il était alors directeur des services centraux.”

Béatrice Verhulst, la femme d'Eric, à gauche sur la photo, fait elle aussi partie du choeur.

Murs fuschia et poignées vertes

C’est à partir de cette date que le destin d’éric Verhulst va croiser celui d’élisabeth Chenique qui, elle, appartient déjà au personnel de Bayard depuis six ans.

“J’étais mariée depuis 1956, raconte-t-elle, et j’avais eu très vite trois enfants, une fille et deux garçons. Mon mari, qui travaillait à la Compagnie de Pont-à-Mousson, avait été muté, dans les années 1972-1973, au siège de Saint-Gobain, situé à Neuilly. Mais il était déjà bien malade et je devais passer beaucoup de temps auprès de lui. J’ai donc décidé, diplôme d’infirmière en poche décroché à Nancy, de travailler dans un premier temps, et jusqu’en 1982, dans l’intérim médical. C’est alors que j’ai repéré dans Le Figaro une petite annonce qui m’intéressait particulièrement : une entreprise recherchait une infirmière disponible de 16 à 19 heures, horaire qui convenait à ma situation personnelle. Il s’agissait de Bayard Presse. J’y suis entrée en février 1983. Et j’ai tout de suite apprécié l’ambiance sympathique et formé un bon tandem avec sœur Thérèse, qui, elle, était responsable de l’infirmerie dans la journée, dès 8 heures du matin. En fin d’après-midi, quand je prenais mon service, elle me transmettait les consignes et nous faisions le point sur tout ce qui s’était passé dans la journée. Rien de jamais très dramatique, mais nous avions parfois quelques cas psychologiques difficiles à régler, plus d’ailleurs pour des employés dont la vie personnelle connaissait quelques difficultés. Et avec Sœur Thérèse, décédée en 2001 et que j’ai accompagnée jusqu’au bout, nous nous entendions à merveille et nous nous impliquions souvent dans des campagnes anti-tabac, anti-alcool ou des campagnes de vaccination contre la grippe. Côté locaux, je me souviens notamment d’un deuxième étage, avec Thérèse Forest, l’assistante sociale, et d’un rez-de-chaussée Cours Albert 1er. C’est à cette occasion que j’ai eu l’occasion de côtoyer Eric Verhulst. D’abord sur le plan choral, parce que nous avions toujours chanté chacun de notre côté et que nous nous sommes plus ou moins retrouvés dans le cadre de la chapelle, là où avaient lieu les répétitions de la chorale de Bayard, dirigée par Catherine Veillet-Michelet, secrétaire générale, mais aussi excellente chanteuse et très amateur d’opéras. Ensuite et surtout sur le plan des locaux, parce qu’éric, en son temps, m’a permis d’aménager l’infirmerie comme je le souhaitais, avec des couleurs gaies. J’ai pu choisir : les murs étaient fuchsia et les poignées de portes vertes…”

Au premier plan, on reconnaît Éric Verhulst. Quatrième rang, debout à l'extrême gauche (une main levée devant son buste), Béatrice Verhulst. En haut, à l'extrême droite, presque cachée (la main de son voisin de droite à hauteur de visage), Élisabeth Chennique.

Nous sommes donc dans les années 1990, et Eric Verhulst, directeur du cadre de vie, “homme de confiance du Président et auxiliaire du DRH”, comme il aime à le dire, est là pour gérer les services généraux, l’accueil, la sécurité, les aménagements techniques divers.

“A ce titre, précise-t-il, mon premier travail a été de déplacer le standard, puis d’aménager le rez-de-chaussée et la cafétéria, le service médical aussi ou encore d’installer Enfants Magazine sous la verrière bleue. Quoi qu’il en soit, mon expérience des années passées dans d’autres entreprises m’a appris qu’installer ou réinstaller des services ne se fait pas seulement à partir d’objectifs techniques. La gestion de locaux doit toujours permettre d’optimiser les moyens matériels nécessaires, afin de donner aux employés les meilleures conditions de travail. Le personnel doit toujours s’approprier les lieux et l’espace. C’est pour cette raison que, bien qu’ayant effectué dans ma carrière plusieurs déplacements d’entreprises, je n’ai jamais été très favorable aux déménagements. à Bayard, à l’époque, quelques dossiers étaient déjà à l’étude. Notamment un projet qui aurait installé l’entreprise à la Bibliothèque François Mitterrand, avec d’autres journaux. Personnellement, je trouvais que le lieu n’avait pas encore d’histoire, condition qui me paraissait nécessaire pour une entreprise de presse. Le projet n’a jamais pris forme. Et je n’ai pas eu a gérer le déménagement à Montrouge, puisque je suis parti en retraite avant…”

En préparation pour le concertDans la famille Verhulst, donnez-moi le fils. Il s'appelle Cyril, il a 31 ans, il est ténor professionnel dans le choeur de Levallois et dans celui de l'armée française.

 

La couleur du chœur

La retraite, ou plutôt les retraites. Elisabeth Chenique a pris la sienne en 1999, à l’âge de 65 ans, Eric Verhulst a 61 ans quand il part en 2004. Et ce sont les retrouvailles à Levallois, autour du chant choral, la participation au même chœur polyphonique local. Ni l’un ni l’autre, on l’aura compris au fil de ce double témoignage, n’en sont à leurs premières armes. Elisabeth a chanté dans plusieurs chorales parisiennes, Eric a fait partie du chœur de Saint-Cloud de 1995 à 2005 avant d’intégrer, avec son épouse Béatrice, le groupe polyphonique d’adultes de Levallois dont Francis Bardot, chef de chœur réputé, venait de prendre la direction. Et chaque lundi soir, les deux Anciens de Bayard se retrouvent pour une répétition générale qui conduit leur chorale à se produire dans la commune, mais aussi, trois ou quatre fois par an, dans des villes de province. à Tonnerre pour La Paukenmesse de Joseph Haydn, à Reims, pour Les sept dernières paroles du Christ de Haydn également, à Blois pour la Deutsche messe de Franz Schubert, dans l’abbaye de Cerisy, près de Bayeux, pour Le Stabat Mater de Anton Dvorak ou encore dans les églises parisiennes de La Trinité et de La Madeleine pour Das paradie und die Péri de Robert Schumann et pour la messe solennelle de Sainte-Cécile, de Charles Gounod.

Pour Elisabeth, Eric et son épouse Béatrice, le même amour du chant choral et de la musique. Et comme le dit si joliment Eric : “L’avantage du chant, c’est qu’il peut se pratiquer à bon niveau jusqu’à un âge avancé. C’est d’autre part une activité collective où chacun doit donner le meilleur de soi-même et ne pas compter sur l’autre, où chaque voix distincte se fond dans un ensemble qui donne ce que l’on appelle sa “couleur” au chœur… ”

Et ce soir- là, à Levallois, Chapô peut témoigner que le chœur polyphonique Maurice Ravel ne manquait pas de couleur.

Guy Deluchey