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Georgette Pierre, chez elle, au ThillotIl y a une vie avant Bayard,
pendant Bayard
et après Bayard !
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140 soirées-débat
pour La Croix
à travers la France.
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Une stratégie
de promotion
du journal
longuement mûrie.
Georgette Pierre, chez elle, au Thillot

Les Vosges et sa “ligne bleue”, c'était l'obsession des militaires des deux côtés de la frontière franco-allemande. Pour Georgette Pierre, Le Thillot, son village natal, non loin de Remiremont, c'est le lieu d'une enfance et d'une jeunesse marquées par les guerres dont les traces sont toujours présentes sur les maisons et surtout dans les esprits. “Regardez, dit-elle, ces traces d'impacts d'obus sur ce mur, et aussi ces bâtiments tout neufs au centre du bourg, la mairie et alentour. Les soldats allemands, en 1940, avaient mis le feu par représailles, furieux de constater qu'avant leur repli, les Français avaient détruit la poudrière.” On imagine mal, avec l'éloignement, ce que furent les conditions de vie dans les régions traversées par les affrontements militaires. Pendant la deuxième guerre mondiale, Le Thillot était dans une zone interdite. Fin 1944, la Libération de la ville, ce ne fut pas une période d'euphorie : pendant sept semaines, la ville s'est trouvée entre les deux lignes de combattants, d'un côté les Allemands, de l'autre les Français de la 1re Armée. Pas d'eau, pas d'électricité. Un départ de la population sous la mitraille. Les animaux abandonnés sans soins, sans nourriture. Déjà, la génération précédente avait été aussi durement éprouvée en 1914-1918.

Née en 1928, Georgette se souvient que son instituteur faisait apprendre à ses élèves, elle avait 8 ans, l'histoire et la géographie à partir des événements de l'époque. Il n'en manquait pas à travers l'Europe... “On a suivi avec lui l'entrée des Allemands en Autriche, puis en Tchécoslovaquie, etc. Des leçons qui entrent dans votre vie. Comment détacher de ma mémoire, confie-t-elle encore, la mort de ces gamins qui, à Pâques 1945, sont broyés par l'explosion d'une mine antichar (c'est Georgette qui saute sur son vélo pour quérir un médecin), tandis que la semaine suivante c'est un neveu qui subit le même sort”. L'école de la vie, rude école.

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La maman, tisserande à douze ans, sa fille bobineuse

L'âpreté des conflits sociaux entre les deux guerres marquait aussi profondément les esprits. On comptait une douzaine d'usines de textiles - il n'en reste qu'une aujourd'hui. “Ma mère a commencé à travailler comme tisserande à douze ans. En 1936, j'avais 8 ans, des défilés de grévistes allaient d'usine en usine, chantant l'internationale et s'en prenant aux paysans sensés prendre le pain aux ouvriers. Il était dur pour les petits paysans que nous étions d'entendre ces clameurs.” Pas de quoi contrecarrer le cours de la vie de Georgette : elle entre à 18 ans comme bobineuse dans une usine textile. Elle y travaillera sept ans. On n'en est pas aux 35 heures. Dix heures de travail par jour, soixante heures par semaine, lever de grand matin, le trajet en ski par temps de neige.. “Je ne garde pas un mauvais souvenir de cette période, dit pourtant Georgette, ce n'était pas la pression comme aujourd'hui dans les entreprises, on se faisait des amis”.

“Ouvrière-rurale”, selon le jargon de l'époque, elle rencontre la Jac. Elle n'est pas paysanne mais le mouvement a constitué des équipes répondant à sa situation d'ouvrière rurale. Elle s'y investit, soutenue par les responsables régionaux de l'époque, Marie-Thérèse Guinder, Jean-Paul Blanck. Elle est appelée à Paris au secrétariat national de la Jacf, comme responsable des ouvrières rurales de 1955 à 1958. Georgette Pierre fait bientôt partie de la rédaction du magazine Promesses, édité par la Jacf, puis du magazine Clair Foyer, édité par le Mfr. Elle passe à Mon Village, qui deviendra Chrétiens d'aujourd'hui, avec Robert Masson. Elle travaille un temps à Nancy dans un organisme créé par le ministre Edgard Pisani pour reclasser les jeunes de la campagne. Venant du monde agricole, Louis Estrangin, l'un des dirigeants d'alors de Bayard aux côtés de Roger Lavialle, se préoccupe de mieux faire se rencontrer le monde rural et le monde urbain. Il embauche Georgette Pierre à cette fin, pour un poste nouveau chargé d'assurer cette communication entre ces deux mondes. Elle est disponible.

Un bel objectif lui est donc assigné, mais tout est à imaginer. La “petite bobineuse” saura-t-elle relever le défi ? Elle n'a que sa formation sur le terrain pour avancer, une expérience concrète loin des concepts avec lesquels savent jongler celles et ceux qui sont passés par l'Université ou les grandes écoles.

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La contestation dès le départ

Elle commence par faire connaissance avec les publications de Bayard. C'est alors que Louis Estrangin quitte Bayard Presse pour Ouest-France et, très vite, le poste créé est contesté. Lucien Jubien juge utopique cette mission de favoriser la prise en compte de l'évolution du monde rural dans les publications de Bayard. “Grâce à Georges Boin, raconte Georgette, j'ai été occupée à organiser les visites de Bayard-Presse pour les comités de presse et toutes sortes de visiteurs de l'entreprise. Puis, avec la fin du concile et les évolutions de l'époque, M. Kurdaci, alors responsable de la diffusion de La Croix a démissionné et a quitté Bayard. Il estimait impossible de vendre La Croix par les comités de presse après le concile. C'est là qu'au printemps 1966, il m'a été demandé de lui succéder : un bel objectif, mais qui m'a fait peur car il fallait changer de cap.”

“C'était pour moi un défi à relever, en m'appuyant sur la formation acquise sur le terrain au cours des neuf années de permanente à la Jacf et au Mouvement familial rural, le Mfr. Une formation loin des concepts avec lesquels savent jongler celles et ceux qui sont formés dans les écoles de commerce, comme Jean-François de Montvallon, sorti d'Hec, et Bernard Thomas, formé à l'Essec avec qui j'ai pu travailler… En même temps, poursuit Georgette, se déroulaient des campagnes de publicité de vente directe et de diffusion par les paroisses. Géry Herbert et Victor Coinçon ont visité à plein temps une grande partie des paroisses des villes pour que soient distribué le journal La Croix avec des propositions d'abonnement.”

On est en 1966. C'est une période charnière pour La Croix. L'heure est à réfléchir au changement à opérer. On cogite beaucoup au sein de la Copec. On se préoccupe du dialogue avec les lecteurs. Georgette Pierre aussi. Dans ce contexte, elle se forge sa propre doctrine. “Elle tient en trois points, résume-t-elle : l'image de marque, la notoriété, la mise en mains du journal.” Tandis que La Croix travaille sur sa nouvelle formule lancée en 1968, Georgette affine dans le même temps son projet de soirées-débat. Des petits groupes de lecteurs cerneront au préalable leurs attentes et les thèmes des débats. Ceux-ci seront ouverts par des personnalités représentatives des mondes ouvrier, agricole, universitaire et politique. Geneviève Delachenal se chargera ensuite de contacter ces personnalités. Venant d'horizons divers, elles n'avaient souvent pas eu l'occasion de se confronter auparavant.

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Des retombées considérables

Le schéma des soirées est bien au point. Brève intervention d'ouverture par la direction (Jean Gélamur le plus souvent), tandis qu'un journaliste de La Croix mène le débat qui se poursuit in fine avec la salle. C'est à Nancy, avec l'aide du correspondant du journal dans cette ville, Hubert Barthélémy, qu'a lieu la première soirée. Yves de Gentil-Baichis en est l'animateur. Surprise : 800 personnes sont présentes. “à bas la calotte !” crie une voix bien vite étouffée du fond de la salle. Un succès prometteur. Dès lors, d'autres soirées suivront, mémorables par le nombre de participants et la qualité des débats, à Besançon, à Lyon, à Lille et ailleurs.

Rassembler 800 personnes qui n'avaient jamais eu l'occasion de se réunir, dans de petites villes comme Cahors ou Cherbourg, c'est un événement. Les retombées en termes de notoriété dans les médias locaux, de “mise en mains” de journaux sont considérables. 30 000 à 40 000 tracts avec offres de 4 semaines d'abonnement gratuit sont distribués à chaque soirée. Un compte-rendu de quatre pages (Jacques Marion tient la plume) est alors publié dans La Croix. Georgette Pierre ne disposait pourtant que d'un budget limité : 1,4 million de francs par an, pour la totalité de la diffusion. “Jean Gélamur soutenait à fond notre action” tient-elle à souligner.

Au total, 140 soirées-débat auront été organisées à travers les diverses villes et régions de France, sur le thème de leur avenir, puis sur des thèmes sociétaux, comme la place de la femme, le couple, la santé… Georgette Pierre en a fait un relevé précis, mais qu'elle n'a pas crû devoir garder, dans un geste qui marque son détachement, mais qui désole aujourd'hui Yves Pitette, à l'affût de tout ce qui permet d'enrichir la mémoire de Bayard.

.Georgette Pierre, une battante pour La Croix.

1968, 1983, dates mémorables

Georgette Pierre a connu d'autres temps forts. Ah, 1968 ! Comment assurer l'acheminement du journal imprimé dans les conditions surréalistes du moment ? “Je n'ai jamais autant travaillé qu'à ces moments-là dit-elle. On téléphonait dans toutes les villes de France. Pierre Chevasson organisait le départ des journaux nuitamment. Les rendez-vous avaient lieu place de l'Opéra, à Paris. Des Belges venaient livrer de l'essence...” Deux opérations de vente de La Croix dans les églises parisiennes ont été organisées pendant ces “événements”.

Ah, 1983 ! Une grande année, celle de la célébration du centenaire de La Croix. Un voyage en train à Rome, organisé par NDS, a rassemblé 400 lecteurs. Georgette Pierre et Bernard Le Léannec ont, pendant le voyage, monté des animations autour de La Croix. Il faut aussi évoquer “La nuit de la Paix”, organisée à Notre-Dame-de-Paris. Plus de 4 000 personnes ont passé une nuit de prières animée par Michel Dubost. Olivier Messiaen était à l'orgue. à chacun ont été distribués un exemplaire de La Croix, avec une formule d'abonnement et un brin d'olivier, symbole de paix. Beaucoup de participants ont souhaité que la soirée se prolonge au-delà de minuit, témoigne Georgette. Jean-Marie Lustiger, revenant de Pologne, a beaucoup raconté son voyage, oubliant de parler de La Croix....

Un grand livre illustré sur le journal a également été édité. Ces manifestations du Centenaire ont été clôturées par un colloque historique tenu en 1987 (Les Actes ont été publiés au Centurion).

C'est Georgette Pierre, encore elle, qui a porté, pour la direction de la Maison, les fameuses rencontres annuelles entre les mouvements d'église très demandeurs et Bayard, dont l'image s'en est trouvée améliorée. On parlait alors de ces rencontres comme de “la grand messe de Georgette”. Une rencontre antérieure avec les curés de Paris, plus décevante, n'avait duré qu'un temps.

Georgette Pierre dit avoir travaillé avec bonheur avec Jean-Marie Brunot. Elle a quitté La Croix en 1985, remplacée d'abord par Catherine Taveau, très tôt décédée, puis par Solange Dosne, qui avait déjà mis sur pied avec Georgette le réseau des Amis-Croix, en compagnie de Jean-Marie Brunot et de Jacqueline Altman (cette dernière a été sauvée in extremis par une opération de transplantation cardiaque miraculeuse). Pour résumer son action à La Croix, Georgette a cette formule : “J'ai cherché à rapprocher les gens autour du journal pour en faire des multiplicateurs de diffusion”.

.Service de la promotion Croix 1977. De droite à gauche : G. Pierre, L. Stroebel, M.J. Cour, C. Taveau.

Membre de l’aumônerie de l’hôpital

Georgette Pierre a pris sa retraite en 1991. Pour elle aussi, il y a une vie après Bayard.

Revenue au Thillot après avoir vendu son pied-à-terre à Maisons-Alfort, Georgette, infatigable femme d'action, a participé à l'organisation et à la réalisation de colloques européens des paroisses, l'un tenu à Besançon, l'autre à Prague. On la retrouve aussi au comité directeur de l'Office du tourisme du Thillot, désireuse de mobiliser les atouts de la commune. Mais le président, député, la juge seulement bonne à tenir la caisse. Elle tire sa révérence. Pendant dix ans, elle sera, au Thillot, membre de l'aumônerie de l'hôpital, auprès de personnes âgées. “Des visites tous les vendredi après-midi. Au début, on n'en dort pas car on voit ce que sont certaines fins de vie. J'ai arrêté à 80 ans.”

Bon pied, bon œil, Georgette sait accueillir ses hôtes d'un jour, les chercher et les reconduire à Remiremont, non sans leur avoir fait apprécier la cuisine vosgienne. Et entretenu le contact avec son vieux complice de la promotion à Bayard, Victor Coinçon, accompagné de Jacqueline, son alerte épouse de 85 ans, posés à Arches, non loin de là.

Recueilli par Michel Cuperly et Yves Pitette