Les_livres

► Biographie d'un journal

► Vers une théologie d'amour

► De Normandie en Aquitaine et Quercy, itinéraire d’un “paysan-journaliste”

► Le complexe de l'autruche

 

 


 

Biographie d'un journal

“Un journal catholique, uniquement catholique, apostolique et romain”, voilà la ligne de départ fixée par François Picard, “le stratège” avec Vincent de Paul Bailly, “le journaliste”, qui signera des années durant ses articles “Le Moine”, une “bête de presse, un hussard sabreur, impulsif créatif, un prêcheur efficace”. Un tandem aux commandes pendant dix-sept ans. La Croix se situe comme non partisan, comme un journal de défense religieuse. Mais être catholique à l’époque, c’est déjà une étiquette politique. La Croix dit et redit ne vouloir qu’un “gouvernement chrétien”. Elle lutte contre “l’école sans Dieu, soutient les curés volés”. Elle trouve son public avec un tirage de 150 000 exemplaires en 1891. Elle va pourtant connaître bien vite des années noires. C’est le temps des “impasses politiques”.

Malgré la pression du pape, Léon XIII, elle résiste au ralliement à la République. Elle se déchaîne contre les francs-maçons et les juifs. Elle se glorifie d’être le journal catholique “le plus antijuif de France” : “à bas les Juifs !” titre un éditorial du 15 février 1898. “La pire période de son histoire”. La congrégation des Assomptionnistes est dissoute en 1900. De “piètres penseurs”, jugera plus tard Mijo Beccaria. C’est lors d’une assemblée du Crif, présidée par Jean Kahn, que Noël Copin, très applaudi, a ressenti que la page était définitivement tournée. Léon XIII lui-même fera quitter de La Croix les pères François Picard et Paul Bailly. Le chapitre 3 mérite son titre : “La chute des moines ligueurs” ; mais La Croix “survivra”.

Cette survie, La Croix la doit à l’intervention d’un jeune industriel du Nord, M. Féron-Vrau. Le risque était grand de voir l’entreprise faire l’objet d’une vente publique. L’intérim Féron-Vrau est raconté par le menu au chapitre 4. L’époque est riche en rebondissements : vente fictive et arrangement secret, pour éviter la saisie. Féron-Vrau sera écarté. Tout est raconté. La Croix a quitté son berceau de la rue François Ier pour la rue Bayard. Les Assomptionnistes sont éloignés de La Croix mais restent actifs dans La Maison de la Bonne Presse. Ils vont présenter à Rome leurs publications, leur “Grand Catéchisme” plaît beaucoup à Pie X. Le nouveau pape favorise les courants intégristes. L’air du temps est à l’antimodernisme.

 

Un coup de force du Pape

Le conflit entre les partisans de l’Action française, bien installés dans la société, et ceux qui se réclament de l’Action catholique traverse durement l’histoire de La Croix. Un autre passionnant chapitre. Pie XI a condamné l’Action française en 1926 mais La Croix traîne les pieds pour en informer les lecteurs. Ce sera fait mais avec retard. à ce moment, le poste de rédacteur en chef est vacant à la suite d’un décès. Un commentaire bref, mais critique et non signé, accompagne le texte publié. Il a été rédigé par le supérieur général de la congrégation des Assomptionnistes. C’est une bourde, relève Pitette. Coup de force du pape en riposte : il nomme lui-même d’autorité un nouveau rédacteur en chef, Léon Merklen ! On ne s’étonnera pas que, dans ces conditions, le nouveau patron de la rédaction ait mis cinq ans pour s’imposer.

“Patron” est bien le mot qui convient pour parler de Merklen. Il s’entoure de disciples, les pères Odil et Le Bartz, il recrute et renouvelle la rédaction (Gabilly, Pélissier, Maurice Herr, Mondange, Courtabessis, Roussel, Luc Estang...). C’est un homme d’influence, pesant à l’occasion dans la nomination des évêques. Il ne supporte pas Pierre l’ermite qui s’accroche et qui meurt à 96 ans après avoir écrit 3 000 chroniques dans La Croix.

Pie XII est élu pape en 1939. L’épreuve de la guerre pour lui, pour La Croix également. Deux chapitres particulièrement captivants sont consacrés à cette période. On a beaucoup évoqué le transfert de La Croix à Limoges. On a peu noté qu’un précédent départ a eu lieu vers Bordeaux, dans la précipitation. Inconfortable. S’y installer ? Rentrer à Paris ? Ce serait se jeter dans les bras de l’occupant. Ce sera le choix de Limoges ville qui offrait l’avantage de disposer d’imprimeurs. La Croix a été imprimée à Limoges chez Charles-Lavauzelle du 15 juillet 1940 au 20 juin 1944. Cinquante personnes de Bayard Presse étaient sur place. La censure et la Résistance. Dure époque.

“1940-1944, être ou ne pas être”. Un autre remarquable chapitre raconte cette période qui débute par des problèmes de conscience, au moment où Pétain met en avant des valeurs qui rejoignent celles de La Croix. Pétain mais pas Laval. Le journal pourra reparaître après la Libération. Des “années de crise”, à vrai dire. émile Gabel est arrivé en 1949. Sa politique éditoriale maintient une indépendance vis-à-vis de Rome. Le lectorat est tiraillé. Le journal diffuse 50 000 exemplaires en 1956, l’année où le crucifix est supprimé en page une. Arrivent à la rédaction des journalistes venus notamment de la JEC, “la mafia” dira d’eux ceux qui n’en sont pas. Gabel craint une laïcisation du journal. Le supérieur général des Assomptionnistes le destitue : c’est la première fois que la congrégation écarte elle-même un rédacteur en chef assomptionniste.

Un grand chapitre s’écrit avec “Le miracle du concile” (chapitre 9). Le jeune Antoine Wenger, nouveau rédacteur en chef, va vivre bien des tensions mais aussi de grands moments à Rome. Un réveil pour le journal qui travaille en même temps à son renouvellement, avec la Copec, une instance de coopération interne entre les acteurs. Une tâche bien des fois reprise, au fil des modifications techniques dans l’univers de la presse. Yves Pitette nous fait pénétrer et nous guide dans les coulisses. Cette période est encore présente dans les mémoires. Le livre analyse longuement l’action des divers responsables du journal (Gélamur, Guissard, Chenu, Potin, Géraud, Copin, Dominique Quinio, Biard, Latu...). La montée des laïcs marque un changement de mains (“Avec mon départ, la Congrégation a perdu La Croix” a écrit Wenger). Le journal s’adapte : c’est l’entrée en scène des lecteurs, le virage culturel en direction des problèmes de société, le passage au journal du matin le 11 janvier 1999 salué par Bruno Frappat, 99 ans après le Ier numéro de La Croix grand format du 2 octobre 1900, l’installation à Montrouge, le passage au bimédia en 2011, avec des comptes équilibrés depuis neuf ans de suite...

Chapeau, Yves !

Michel Cuperly


Biographie d’un journal
éditions Perrin. 350 pages. 24 euros.
Sortie en librairie fin septembre.
Des exemplaires seront disponibles 57 rue Violet, lors de l’assemblée générale de l’Amicale, le 29 novembre. Une occasion de se faire dédicacer l’ouvrage.
 

 

Vers une théologie d'amourVers une théologie d'amour

70 pages de petit format, huit euros seulement : le dernier ouvrage de Geneviève Honoré-Lainé constitue une synthèse de son approche du projet de Dieu, “Réunir dans son Amour tous les hommes, un projet d'Alliance”.

Livret publié par Médiaspaul éditions, 48 rue du Four, 75006 Paris.

Mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

 


 

 

De Normandie en Aquitaine et Quercy,
itinéraire d’un “paysan-journaliste”

Un livre de Jacques Faine

Il le nomme “Testament”. Et à raison, puisque comme chaque lecteur de Chapô, le voici au temps du bilan. Mais Jacques Faine a tort puisque cet ex-correspondant de La Croix pour l’Aquitaine durant deux décennies garde assez d’énergie pour que ce “testament” affiche plutôt les couleurs d’un manifeste.

Fils de générations de laboureurs normands, Faine est par nature un sédentaire nomade. Journaliste par ascendance maternelle, le métier le mena d’abord à Bordeaux. Avant que sa curiosité ne le conduise à Caylus, “son” village sud-quercynois. Et que sa passion paysanne ne le guide, d’expérience en expérience, vers l’action associative au bénéfice de la ruralité. Toutes étapes qui font de son bouquin, parfois austère (la vie associative n’est pas seulement un chemin semé des fleurs de l’idéal), une chronique chaleureuse, savoureuse par instants, pittoresque par éclairs (cette collaboration de trois notables ayant respectivement servi Blum, de Gaulle et Pétain), toujours ouverte sur l’avenir, analysé sans complexes. Au passage, le lecteur y retrouvera quantité de gens croisés au fil de sa propre carrière : Pisani, Chaban, Max Dejours, Debatisse, Jean Puech, Robert Lafon, Edgar Faure, Virieu, Géraud, Cuperly, par exemple.

“Testament” ou pas, Faine continue avec la fédération “Mon Village Demain”, à promouvoir avec fougue une “citoyenneté plurielle à construire dans la perspective d’une néo-ruralité” qu’il s’agit de faire vivre sans crainte de dépasser un lobby “agricolo-agricole” quelque peu refermé sur lui-même. Pour le plus grand bien de l’équilibre national.

Ces quelques lignes sont pour leur auteur, le mieux et le plus mal placé à la fois pour le faire, l’occasion d’exprimer que dans un quotidien dont trois lecteurs sur quatre vivent et travaillent hors d’Île de France, supprimer le service des régions fut une erreur. On n’anime pas, on ne suscite pas l’esprit d’équipe de cinquante personnes disséminées sur 550 000 Km2 comme on dirige un service de huit ou dix collaborateurs sur place. La Croix y a peut-être perdu une petite part de son identité.

Jacques Marion

 


 

Le_complexeLe complexe de l’autruche

Un livre de Pierre Servent

Pierre Servent est un ancien journaliste de La Croix. C'est un spécialiste reconnu des questions militaires et des conflits. On le voit souvent intervenir dans l'émission “C dans l'air” à la télévision. Il est aussi enseignant à l'école de guerre. Il a écrit plusieurs ouvrages (Le mythe Pétain, La trahison des médias, Les guerres modernes racontées aux civils...). Son dernier livre est intitulé Le complexe de l'autruche. Il est passionnant. Pourquoi ? Parce qu'il montre, faits à l'appui, qu'en trois grandes circonstances, en 1870, en 1914 et en 1940, la France, les Français n'ont pas voulu regarder en face des réalités qui imposaient des choix difficiles. Résultat : des défaites cuisantes. Ce faisant, Pierre Servent ne fait pas qu'œuvre d'historien. Son analyse des trois grands épisodes passés en revue débouche sur les batailles à mener aujourd'hui. Car le mal français continue à sévir : on somnole, on s'aveugle, on reporte à plus tard. On oscille entre dénigrement et autosatisfaction. Pas question pourtant de sombrer dans la sinistrose. Les défis à relever peuvent l'être. En bon stratège, Pierre Servent fait émerger les remèdes qui permettront de retrouver la France qui gagne. C'est concret, clair, clairvoyant.

Michel Cuperly

Editions Perrin, avril 2011. 23 euros.