Petite histoire de la Bonne Presse

En remettant récemment de l’ordre dans ma bibliothèque – elle en avait bien besoin – j’ai exhumé de l’oubli auquel l’avait condamné ma négligence un ouvrage singulier, intéressant à un double titre.

D’abord parce qu’il m’avait été offert par Philippe Ferry, un ancien de Bayard que j’étais allé interviewé pour Chapô (n° 22 de janvier-février-mars 2003) et qui a ouvert à Auvers-sur-Oise un pittoresque bric-à-brac littéraire appelé La Caverne aux livres.

Ensuite et surtout parce qu’il s’agit, comment dire, non pas d’un livre, ni d’un album de bandes dessinées, mais d’une sorte d’ouvrage hybride – sur chaque page beaucoup de texte et un ou deux dessins illustrant la situation décrite – qui entrait dans la catégorie des romans cinématiques.

Frère Joachin

Romans cinématiques ? Ma curiosité est soudain piquée au vif. En cherchant sur Internet, j’apprends qu’il s’agit d’une collection lancée par la Bonne Presse entre les années 1920 et 1955 à destination de la jeunesse. à l’époque, les éditeurs de livres classiques cherchaient à réagir tout à la fois à la concurrence du cinéma muet (il ne parle pas encore, mais il bouge) et de la bande dessinée inventée aux états-Unis un peu avant 1930, à peu près au moment où le cinéma devient parlant. Réagir comment, sinon en essayant d’inventer des formules plus dynamiques, qui donnent un peu de mouvement au texte en illustrant chaque page d’un dessin qui résume en quelque sorte l’action décrite au fil des phrases imprimées ? C’est la Bonne Presse qui trouve la solution en inventant les romans cinématiques dans le début des années 1920 (le mot “cinématique”, qui vient du grec “kinéma” signifie mouvement et le mot “cinéma”, abrégé de “cinématographe”, s’est inspiré de la même racine). Et cette invention est d’autant plus remarquable qu’elle intervient avant la BD, puisque cette dernière n’a franchi l’Atlantique qu’à la fin des années 1920, vers 1929/1930 !

Quoi qu’il en soit (revenons à mes moutons), l’album que je viens d’exhumer de ma bibliothèque, qui date de 1946, s’intitule L’âne de frère Joachin. Son auteur, Max Colomban, fait partie de ceux qui ont collaboré avec la Bonne Presse dès la naissance de la collection, avec des titres comme Miette et Janet, L’île du bonheur, Histoire de trois enfants russes, Bernard et Lélette, Galaor et Célysette, etc…

La signature du dessinateur (H.Shaeffer) n’apparaît que très discrètement dans les pages 1 et 3 du texte.

Ebouriffant destin que celui de Criquet, petit bourricot maigrelet acheté par Joachin, frère convers à Notre-Dame-du-Romarin, pour aider au service de sa communauté. Presque du Tintin, avec des accents d’Indiana Jones avant l’heure ! L’animal, après s’être refait une santé auprès des religieux, est enlevé par un bohémien qui le revend à une famille fortunée. S’ensuit alors, en compagnie de nouveaux jeunes maîtres dont les parents font le tour du monde, une série d’aventures qui conduisent le vaillant petit âne au pied des pyramides d’égypte, en Inde, à Bornéo et Sumatra, en Indochine, au Japon, en Amérique, etc… Avant que le bohémien repenti ne le ramène en France auprès de frère Joachin.

Vous aimeriez revivre dans le détail les péripéties du petit âne Criquet ? Ou lire un de ces romans cinématiques dont les auteurs vedettes, outre Max Colomban, s’appelaient Alice Pujo, Myriam Catalany, René Duverne ou Denisèle ? Pour moins de dix ou quinze euros, vous pouvez vous les procurer auprès de sites Internet commerciaux comme Price Minister ou Amazon.

Guy Deluchey