Les livres

► La scène de ce drame est le monde

► Conversations intimes avec Albert Jacquard



Les livres 70 1La scène de ce drame est le monde

Treize ans à la tête du FMI

De Michel Camdessus, Les Arènes,
450 pages, 22,80 euros.


Le groupe Bayard avait projeté vers 1996 d’éditer un livre d’entretiens avec Michel Camdessus, qui venait de passer presque dix ans à la tête du Fonds monétaire international. Deux mandats déjà de cinq ans avant une reconduction jusqu’en 2000. Un projet excitant, suggéré par Bertrand Révillon et qui a retenu l’attention de l’éditeur, Jean-Pierre Rosa, et de l’intéressé. C’est ainsi que pendant une bonne année, j’ai pu recueillir les premières confidences de celui que la communauté internationale avait chargé d’être le pompier des crises qui secouent la planète entière. Un emploi du temps infernal. Il vole de pays en pays, pour éteindre les incendies, prévenir les séismes et sauver de la noyade les États en perdition. Impossible dans ces conditions de conclure le projet à un moment où le monde aborde un formidable changement d’époque. Avec le recul, Michel Camdessus a entrepris de revisiter lui même “la scène du monde” et ces crises d’un genre nouveau, “un mélange d’immenses périls imminents et de chances et de progrès”.

Le récit est passionnant. On suit pas à pas ses rencontres avec les puissants qui ne sont pas disposés à accepter les remèdes de cheval que préconise le patron du FMI. On sait d’ailleurs que la médecine préconisée suscite d’âpres débats. Ce sont des instants clés de cette histoire dont il veut rendre compte, comme “témoin direct parfois un peu acteur”.

Il y a des épisodes épiques, comme cette négociation avec Boris Eltsine. “Un repas surabondant est servi, du sanglier sous toutes ses formes…Vers une heure du matin, j’essaie de faire comprendre qu’il faut récupérer quelques forces pour la journée du lendemain. Mais non ! Il nous faut soit faire quelques longueurs, nus comme des vers dans la piscine surchauffée de la maison, soit passer un quart d’heure dans un sauna où je crois mourir d’épuisement. Le lendemain matin, à l’aube, on casse la glace pour pécher quelques truites …” Voilà le style. Ou encore, le récit de la négociation secrète du FMI avec l’Algérie, le 31 décembre 1992, en plein désert, près de l’Assekrem où le père de Foucauld avait établi son ermitage, négociation sous la protection de soldats de l’armée algérienne, partageant le réveillon… Chemin faisant, Michel Camdessus décrit avec clarté le rôle, l’influence et parfois l’impuissance d’une institution qu’il a dirigée pendant treize ans.

Michel Cuperly



Les livres 70 2Conversations intimes avec Albert Jacquard

De Dominique Dimey,
Stock, 150 pages, 15 euros.

Albert Jacquard a écrit près de soixante livres. Ces conversations intimes, écrites par la chanteuse Dominique Dimey, auraient pu être le dernier message lancé par le célèbre généticien, expert des sciences de la vie. Il ne pourra pas le co-signer. Deux années durant, artiste engagée pour la défense des droits des enfants et la protection de la planète, Dominique Dimey s’étant retrouvée proche d’Albert Jacquard, avait recueilli sa pensée au fil d’entretiens réguliers, mais interrompus par la maladie et la mort de l’intéressé en 2013.

C’est en 2002 qu’eut lieu leur première rencontre. Dominique Dimey avait raconté ses tournées en chansons dans les hôpitaux pour les enfants malades et elle sollicitait Albert Jacquard d’en écrire la préface, ce qu’il fit avec enthousiasme. Une complicité intellectuelle s’est établie entre eux. L’idée de recueillir sur le monde et la vie les réflexions d’Albert a pris corps. Ces conversations intimes ont été enregistrées. Dominique Dimey n’a pas voulu les garder pour elle-même et les a rassemblées “pour rendre hommage à cet homme singulier qui, pour beaucoup, restera un guide éclairé.”

Les engagements d’Albert Jacquard sont connus, le droit au logement, la sortie du nucléaire, le droit de mourir dans la dignité, la sauvegarde de la planète, l’espéranto aussi. Généticien des populations, il avait travaillé à l’Institut national des études démographiques et siégé au Comité consultatif national d’éthique. De nombreux établissements scolaires portent son nom, il s’y rendait jusqu’à la fin de sa vie, en compagnie de Dominique Dimey.

Questionné sur Dieu, il répondait : “Le verbe “croire” ne fait pas partie du vocabulaire du scientifique”, ajoutant “je reste avec mon point d’interrogation”. Il avait une détestation de l’institution Église, mais une grande admiration pour l’Abbé Pierre et pour saint François d’Assise et son Cantique des créatures. Dominique Dimey, on l’aura compris, a, elle, une grande admiration pour Albert Jacquard.

Michel Cuperly